Je vous remercie de cette réponse.
"Ensuite, à partir du moment ou l’on souhaite un Etat qui ne s’immiscent
pas dans les détails de la vie de chacun, on accepte aussi qu’une ou des
morales collectives émergent et soient imposés -sans violence- par la
pression sociale."
Voila un thème fondamental de la pensée libérale, et en fait c’est ici que nous ne sommes pas d’accord.
Autant sur le plan de la société civile, je crois comme vous à la nécessité de consulter et d’impliquer par la participation les associations, encore qu’il y ait ici aussi besoin de règles de Droit.
Concernant les impôts, je pense même que les citoyens, dans certaines limites, devraient pouvoir affecter eux mêmes leur argent là où ils l’estiment nécessaire.
En revanche, lorsque vous parlez de morale qui s’imposerait sans violence, je ne suis pas du tout convaincu. D’une part parce que la morale relève pour moi de la conscience individuelle de chaque individu, et qu’elle ne peut donc devenir collective à moins d’utiliser la violence, l’endoctrinement ou le conditionnement médiatique.
Ici encore, la morale est un produit direct des religions et de l’action du pouvoir de l’Eglise (en Europe en tout cas), ce qui me fait penser qu’un régime laïque n’est pas possible pour un système de régulation qui reposerait sur la morale.
Les règles sociales dont vous parlez sont certes nécessaires, mais elles comportent de grands dangers : la pensée unique, le formatage des productions culturelles, et l’exclusion.
Sur cette question je vous invite à lire Foucault et son histoire de la folie, où il explique très bien comment la morale des familles a toujours été à double tranchant, avec d’une part la charité dans les hôpitaux généraux des 17emes et 18emes siecles, et d’autre part, dans les mêmes établissements, la volonté de punition, de sanction et d’exclusion pour les péchés commis.
C’est cette logique qui a conduit à enfermer les chômeurs, les mendiants, les homosexuels, les dépravés, les fils prodigues et les fous dans les hôpitaux généraux à l’époque, dans des conditions inhumaines.
Car enfin, l’exclusion sans violence, ça n’existe pas ! Du moment que l’on reconnait la nature sociale des humains, les isoler devient automatiquement une violence qui révolte et rend furieux, ce qui conduit inévitablement à l’enfermement, à la force publique donc.
Notre ligne de séparation, je la perçoit donc comme une morale imposée par quelques uns, faussement consentie, aliénante, souvent irrationnelle, à l’image des conditionnements religieux à l’œuvre tout au long de notre histoire, versus l’organisation par l’Etat de la participation des citoyens, des associations et de la société civile.
En fait ce que je préconise, c’est de recourir au terme d’éthique plutôt que parler de morale et d’aller chercher cette éthique dans les savoirs rationnels de l’Université, tout en impliquant les associations et les citoyens dans l’exercice du pouvoir.
La grille de lecture collectiviste/libéral me paraît bien trop manichéenne et théorique, alors que dans la réalité le problème qui nous préoccupe aujourd’hui est celui du pouvoir d’une oligarchie, des banques, des multinationales et des médias, tous mis en situation de monopole par leur coopération notamment en termes de prix et de formatage, et qui ont usurpé la souveraineté nationale par l’action des lobbys et de la corruption des institutions.
Je pense que cette souveraineté nationale ne peut plus légitimer l’Etat parce qu’elle s’est trop éloignée de la volonté du peuple incarnée par les Etats Généraux qui ont présidé à la déclaration des droits de l’homme de 1789.
C’est ici que Rousseau devient nécessaire, lorsqu’il parle de souveraineté populaire et de contrat social.
Pour le reste, légitimer la contrainte de l’Etat est un exercice difficile, avec tous les abus que notre histoire a connu, mais je pense que les libéraux ont tort de nier la légitimité d’une contrainte émanant d’un Etat démocratique et républicain, où les contre-pouvoirs sociaux et économiques devraient être en mesure de contrebalancer et de contrôler en toute responsabilité l’éventuelle démesure du pouvoir étatique.
C’est la nature absolue du pouvoir d’une oligarchie, d’un Roi ou d’une morale qui devrait nous rassembler pour la combattre, pour proposer non pas un remplacement de l’Etat par une morale dominante, mais une éthique rationnelle, critiquable, en évolution, qui guiderait l’Etat pour mettre en relation le marché, la société civile, les associations et les citoyens.