J’ai, moi aussi, eu une expérience intéressante de ce genre avec Internet. Il y a quelques années, j’ai eu une voiture un peu particulière – une Ford Probe – très jolie, mais une véritable merde : l’allumeur était très fragile, et en même temps, c’était l’une des pièces les plus chères du compartiment moteur. Bref, il a lâché une première fois et j’ai payé le prix fort chez le garagiste (pièce neuve et main d’œuvre). Un an et demi plus tard, rebelote. N’ayant jamais eu la moindre confiance dans les garagistes, je me suis tourné vers Internet et j’ai découvert plusieurs sites de passionnés qui, non seulement connaissaient bien mieux ce modèle que l’ensemble des mécanos Ford, mais se filaient des tuyaux pour récupérer des pièces et les monter soi-même à peu de frais. Bref, j’ai trouvé mon bonheur grâce à eux et je me suis démerdé tout seul, sans en passer par ses bandits de garagistes.
Ceci pour dire qu’il y a indéniablement une « verticalisation » possible grâce au net, un effort sur soi, une construction, l’apprentissage d’un savoir, mais qui s’articule à une fin donnée. Dans mon cas, la fin était la réparation de ma caisse à moindres frais, ce qui n’était certainement pas une fin commune au garagiste (qui m’a pris pour une vache à lait), mais qui, en revanche, était celle des fous de Probe qui, se réjouissant de voir une Probe de plus sur les routes, étaient prêts à m’aider du mieux qu’ils le pouvaient, sans rien attendre en retour. Ils étaient heureux de partager leur… passion.
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Et j’en viens donc à ce que j’appelais « expert », pour vous dire que le mot est en fait mal choisi : je différencie celui qui acquiert un savoir poussé par intérêt pour la chose elle-même du professionnel qui finit par le faire pour des raisons strictement pécuniaires. Ainsi, je laisserais tomber le mot « expert » pour me tourner plutôt vers celui de « compétent » ou de « capable », ceci afin de se défausser de toute idée de profession. Celui qui « fait profession de… » m’intéresse en effet beaucoup moins que celui qui « vit » l’objet de son attention, sans discontinuer, qui en fait SA fin ultime (et je peux vous assurer que les fondus de Probe que j’ai contactés n’avaient rien d’aussi important dans leur vie que leur voiture !).
Donc, OUI, Internet permet très certainement cet accès du profane à des choses qui le passionnent et de gravir les échelons dans la connaissance de ces choses de manière tout à fait désintéressée, mais NON, je ne me départirais pas pour autant d’un besoin de compétence réelle, de sérieux, d’approfondissement constant. Un type qui se dit historien parce qu’il a lu des quantités de pages Wikipédia sur ce sujet n’en est pas un. Un historien diversifie les sources, accède à des livres de première main, des revues, opère des recoupements, écrit énormément, critique, reformule, révise son jugement, etc. En somme, il remet chaque jour l’ouvrage sur le métier par amour pour la vérité ; peu lui chaut d’aller peut-être au-devant de désillusions majeures et de devoir se raviser sur certains points, il sait que ce travail fastidieux le rapproche d’autant de l’objet de son affection, la vérité, cette belle asymptote.