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Jean Robin,
Quand
je parlais de militantisme borné...
Pantareï,
disaient les Grecs : Tout change... Comment vous faire comprendre que le
libéralisme est un processus historique et non seulement une doctrine, comme
toutes les doctrines, pertinente dans la mesure même de son abstraction ?
Que la main invisible d’Adam Smith dispense indifféremment friandises et paires
de gifles ? Que ses vertus comme ses défauts dépendent d’un contexte
lui-même essentiellement déterminé par ce processus cumulatif qu’est la
technique ? Et que, vu de Paris en 2013, le libéralisme n’est pas tant
"mon" ennemi métaphysique qu’une menace historique, celle de la méga-machine dont il est devenu la superstructure ?
D’abord, admettons
que votre libéralisme à vous ne tue pas les fœtus... en revanche, c’est bien
votre libéralisme qui, en Allemagne, se propose par exemple d’obliger certaines
jeunes femmes à accepter un boulot d’hôtesse de charme sous peine de se voir
supprimer leurs indemnités de chômage... Voilà pour l’éthique. S’agissant
d’économie politique, vous raisonnez - et ce n’est pas indigne, au contraire -
en patron de PME : soit aux antipodes du monde des multinationales et de la
finance, avant-gardes de la technocratie et visage actuel du capitalisme
libéral devenu totalitaire : ayant d’ores et déjà entrepris de
reconfigurer les mentalités et se proposant même de reconfigurer la biologie
humaine.
Que
je sache, ce sont bien des libéraux qui rackettent les peuples pour renflouer
les banques ? Je pourrais vous citer moi-même une collection étourdissante,
infinie, de faits quant aux ravages du libéralisme contemporain : mais
contrairement à vous, je ne me navrerai pas de votre refus de les constater,
sachant depuis toujours qu’un idéologue - se réclamât-il du pragmatisme - n’a
cure de ce qui le réfute peu ou prou. Or vous n’êtes pas moins un idéologue que
vos adversaires, et que toutes les sous-merdes gauchistes qui vous accablent de
leurs pitoyables injures à chacune de vos publications.
Jean,
une société libre se compose de petits patrons et de petits propriétaires,
c’est certain. Et les vertus de l’entrepreneur individuel, ainsi que son niveau
de conscience, dépassent de loin celles du salarié bureaucrate irresponsable
dont le petit fonctionnaire est souvent la caricature insupportable. Sur ce
chapitre-là, inutile de vous mettre en peine : le marxiste cohérent,
c’est-à-dire honnête et critique que je me targue d’être, pour avoir tiré les
conséquences de la tragédie soviétique, est aussi convaincu que vous.
Mais
le tort des idéologues libéraux est de croire que la liberté (politique,
économique, culturelle) nait avec le libéralisme, et s’arrête à ses
déclarations d’intention, ses préceptes miraculeux. Il est certain que les 30
Glorieuses, par exemple, ont essentiellement profité aux masses
populaires ; le Capital ayant dû lâcher du lest pour garder la main face
au chant des sirènes de l’Est. L’Est qui, pour autant, n’offrait pas une
alternative à l’Ouest, seulement un modèle rival dans la course à l’économisme
technicien. Car l’idéologie cesse où commence la technique. La technique est le
nerf de la guerre Est/Ouest et de la prospérité : le niveau de vie à l’est
(abstraction faite de sa qualité, en partie subjective d’ailleurs) aura
fortement bondi au 20ème siècle, tout comme à l’ouest. Rien ne ressemble tant à
un capitalisme technicien libéral qu’un capitalisme technicien d’Etat, de même
que rien ne ressemble plus à la vie d’un OS américain que celle d’un OS
soviétique : la méga-machine s’accommode indifféremment de toutes les
religions utilitaristes et productivistes.
C’est
pourquoi le débat contemporain n’oppose pas tant libéralisme et
anti-libéralisme, que technocratie et démocratie, ou, plus précisément,
humanisme et post-humanisme. La mise hors jeu de l’économisme soviétique n’a
fait que précipiter la suprématie de l’économisme libéral ; la méga-machine
libérale n’est devenue folle en tant que libérale, mais en tant que
méga-machine. (Même si, je vous le concède, l’agencement libéral s’est avéré
plus efficace à servir la méga-machine que l’agencement rival ; l’oligarchie
libérale étant manifestement plus habile que son homologue bolchévique.)
Le
capitalisme, parvenu à ce stade historique de suprématie globale, est sans
conteste le plus grand péril pesant sur le monde, champ de bataille
antidémocratique et bulldozer sans égards envers ses bocages traditionnels.
C’est un péril objectif, qui s’accroit encore d’un péril politique :
l’ultra-violence de l’Hyperclasse (comme dit l’aède Jacques Attali) maitresse
du Capital, laquelle se montre profondément fasciste et même satanique.
Façonnée par la méga-machine, allouée à la valorisation du seul Capital,
l’Oligarchie est l’ennemi absolu du genre humain, prête à toutes les violences
pour le soumettre, comme naguère le Parti – à ceci près qu’elle dispose d’un
arsenal de moyens coercitifs dont aucun Pouvoir autrefois n’aurait seulement
rêvé. La méga-machine a suscité l’hyperclasse qui la perfectionne pour son seul
bénéfice.
Sortir
de la méga-machine implique donc de critiquer le libéralisme - certes falsifié
par la l’Oligarchie - qui en constitue désormais l’armature politique
exclusive.
Pour
finir, je sais que votre doctrine est faite, mais je crois sincèrement que vous
gagneriez à lire Michéa, et particulièrement L’Empire du moindre mal.
Bref,
ni Internationale, ni globalization !
Cordialement,