Bonjour Le marquis
-Avant toute chose, je tiens
à préciser que dans aucun de mes cours d’anthropologie je n’ai entendu parler
de sociétés sans dirigeants, qu’ils soient de nombre restreint ou élargie. Je
suis donc trés impatient que vous me renvoyiez à des liens écrits, ou mieux,
des reportages vidéos (format le plus adapté pour mon style de vie).
------> Il y’ a de nombreux anthropologues qui
expliquent que les communautés primitives
n’avaient pas de chef, en tous cas pas tel qu’on les entend aujourd’hui.
Je pense par exemple aux travaux
d’Alain Testart ou de Pierre Clastres
qui a écrit « la
société contre l’Etat ». Il y’ avait à une époque un long reportage
sur ses travaux mais apparemment, les vidéos ont disparues.
Il existe énormément d’études
sur le sujet, qui s’ appuie parfois sur les vestiges de communautés
paléolithique encore existante , chez les amérindiens en Amazonie ou chez les Bushman
du Kalahari , ce qui ne veut pas dire que cette thèse est une vérité absolue incontestable,
mais dans tous les cas, il y’ a débat …
-Tout d’abord, à l’inverse
des anarchistes, je soutiens la thèse que les hiérarchies sont inéluctables.
------> C’est un postulat sur lequel on peut débattre,
mais non une vérité absolue, que personne ne peut prouver ou démontrer. C’est
votre perception de la nature humaine et comme celle des anarchistes, elle est
subjective et relative à votre idéologie, votre histoire personnelle, votre culture,
vos origines sociales etc.
-Les communautés qu’elles
soient animales ou humaines doivent faire face à la nécessité de l’organisation.
La première étape essentielle et inéluctable à l’organisation de la structure
sociale est la répartition des tâches.
------> Excellente remarque. Justement, les
anthropologues dont j’ai parlé plus haut notent que dans les communautés
primitives la division du travail est archaïque, çàd qu’elle ne s’appuie que
sur le genre et sur l’âge.
Hormis ces
deux paramètres, les individus font tout ce que les autres individus sont capables
de faire au niveau organisationnel.
Et c’est d’
ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, la démographie dans ces communautés
primitives était si contrôlée, il ne fallait pas que la communauté soit
suffisamment nombreuse pour que se crée structurellement une division du
travail sur d’autres paramètres que ceux cités plus haut. Quand ces communautés
ne parvenaient pas à contrôler leur démographie, elles se fragmentaient pour
retrouver le nombre d’individus requis
pour empêcher cette division du travail.
Ce qui m’amène
à préciser votre postulat : les
sociétés complexes (à l’opposée des
sociétés primitives dans lesquelles la propriété privée n’existe pas, vivant sur
une économie de subsistance, sans richesse et à la division du travail minimale)
doivent faire face à la nécessité de la
division du travail et de la hiérarchisation.
-Plus la structure sociale devient complexe, plus
l’organisation de cette dernière devient une tâche, une compétence à part
entière.
------> Exactement. On est donc d’ accord.
-Le pouvoir, c’est la capacité à influer
sur la structure sociale.Le pouvoir d’influer sur la structure sociale passe
par le pouvoir de mener des hommes derrière soit. De provoquer l’adhésion.
------> Pour Pierre Clastres le
pouvoir politique est universel, immanent ou social, et on distingue
donc : pouvoir coercitif (fondées
sur les relations de commandement-obéissance, propices donc au pouvoir comme
coercition et potentiel d’exploitation) et pouvoir non coercitif.
Dans les communautés
archaïques le maintien du statut de dépendance du chef à l’égard du groupe est
un point essentiel. Le contraire entraînerait une fin de la réciprocité et
laisserait le pouvoir à l’extérieur de la communauté, un pouvoir extérieur et
créateur de sa propre légalité qui représenterait un risque mortel pour le
groupe car il pourrait alors s’exercer contre lui. C’est précisément pour parer
à ce risque de dérives que ces communautés s’ingénient à dresser des obstacles
devant la réalisation pratique du pouvoir coercitif.
Je pense donc que cette distinction
entre pouvoir coercitif et pouvoir non
coercitif est ici essentielle.
-Une hiérarchie de pouvoir
"naturelle" de part les compétences pratiques, les tempéraments, les
personnalités, et aussi les capacités en matière de séduction. L’homme charismatique plein de
prestance aura plus de pouvoir social que l’effacé introverti.
------> Vous ne pourrez jamais certifier que ce
pouvoir est naturel et non culturel.
Vous
parliez du charisme, et bien selon la culture et la structure sociale peut s’exprimer
différemment, pour les amérindiens par exemple, c’est celui qui sait parler qui
est charismatique.
C’est ainsi
que les chefs indiens étaient des hommes
éloquent mais il faut noter ceci : la parole n’est pas le
droit du pouvoir, dans les Sociétés sans État au contraire, la parole est le devoir du pouvoir. Ou, pour le dire autrement, les
sociétés indiennes ne reconnaissent pas au chef le droit à la parole parce
qu’il est le chef : elles exigent de
l’homme destiné à être chef qu’il prouve sa domination sur les mots. Parler
est pour le chef une obligation impérative, la tribu veut l’entendre : un
chef silencieux n’est plus un chef.
Dans
l’obligation faite au chef d’être homme de parole transparaît toute la
philosophie politique de la société primitive. Et c’est la nature de ce
discours dont la tribu veille scrupuleusement à la répétition, c’est la nature
de cette parole qui nous indique le lieu réel du pouvoir.
Que dit le chef ?
Qu’est-ce qu’une parole de chef ? C’est, tout d’abord, un acte ritualisé.
Presque toujours, le leader s’adresse au groupe quotidiennement, à l’aube ou au
crépuscule.
La parole du chef n’est pas dite pour être
écoutée. Paradoxe :
personne ne prête attention au discours du chef. Ou plutôt, on feint
l’inattention. Si le chef doit, comme tel, se soumettre à l’obligation de
parler, en revanche les gens auxquels il s’adresse ne sont tenus, eux, qu’à
celle de paraître ne pas l’entendre.
Pourquoi le chef de la
tribu doit-il parler précisément pour ne rien dire ? A quelle demande de
la société primitive répond cette parole vide qui émane du lieu apparent du
pouvoir ? Vide, le discours du chef l’est justement parce qu’il n’est pas
discours de pouvoir : le chef est séparé de la parole parce qu’il est
séparé du pouvoir.
Dans la société
primitive, dans la société sans État, ce n’est pas du côté du chef que se
trouve le pouvoir : il en résulte
que sa parole ne peut être parole de pouvoir, d’autorité, de commandement.
En contraignant le
chef à se mouvoir seulement dans l’élément de la parole, c’est-à-dire dans
l’extrême opposé de la violence, la tribu s’assure que toutes choses restent à
leur place, que l’axe du pouvoir se rabat sur le corps exclusif de la société
et que nul déplacement des forces ne viendra bouleverser l’ordre social. Le
devoir de parole du chef, ce flux constant de parole vide qu’il doit à la
tribu, c’est sa dette infinie, la garantie qui interdit à l’homme de parole de
devenir homme de pouvoir.