Farrage est une vipère qui cache bien son jeu. Il ne dit pas que le projet européen (de l’aveu même de l’eurocrate Quatremer) a été largement dévoyé depuis l’entrée de l’Angleterre dans l’UE qui n’a eu de cesse, précisément, de saper de l’intérieur cette dimension politique que la France voulait donner à l’Europe. L’Europe actuelle, communautaire et supranationale, du marché tout puissant, est en grande partie le résultat des multiples concessions qui ont été faites aux Britanniques depuis leur entrée dans l’union.
"« C’est un
paradoxe : le Royaume-Uni se méfie de plus en plus d’une Union européenne
qui n’a jamais été aussi en ligne avec ses idées », s’exclame un haut fonctionnaire de la Commission de nationalité
britannique. Du libre-échange à l’anglais, devenu langue quasiment unique des
institutions communautaires, en passant par l’élargissement, le marché unique,
le moins légiférer, la baisse du budget communautaire, l’Europe à géométrie
variable, bref tout ce dont rêvait depuis toujours Albion. « Aujourd’hui,
c’est la France qui souffre : l’Europe puissance, la défense européenne ou
encore la politique industrielle, autant de choses qui effrayaient la
Grande-Bretagne et qui ne sont plus d’actualité », s’amuse ce haut
fonctionnaire...
Le Royaume-Uni a su
parfaitement manœuvrer pour imposer ses idées au fil des ans. Tout commence
avec Margareth Thatcher, la dame de fer, qui comprend rapidement que le Grand
Marché lancé par Jacques Delors en 1985 n’est pas seulement un projet fédéral,
mais va lui permettre de faire sauter les barrières intérieures aux échanges et
ainsi de réaliser une zone de libre échange européenne. Même si elle était plus
organisée qu’elle ne l’aurait souhaité, c’est bien ce qui s’est passé, Londres
ayant toujours bloqué toute harmonisation fiscale et sociale qui aurait dû en
être la contrepartie. Ses successeurs, John Major et Tony Blair, ont, eux,
réussi à créer une Europe à géométrie variable en obtenant des « opt
out » dans plusieurs domaines : la monnaie, bien sûr, l’immigration
et l’asile, la justice et la police, Schengen ou encore la défense. Londres a
aussi milité activement pour un élargissement rapide, en s’alliant pour le coup
avec l’Allemagne, meilleur moyen de tuer l’idée même d’Europe puissance, un
concept qui la hérisse." (Quatremer)
Les Allemands, ayant pris acte depuis les référendum de 2005 de la fin programmée de l’Europe politique, ont depuis lors mis tout leur poids économique dans la balance pour réorienter l’UE vers le modèle fédéraliste et ordo-libéral allemand, tout en profitant de l’élargissement pour reconstituer leur ’hinterland" économique à l’est.
Les élites françaises, larguées depuis le milieu des années 90, continuent comme toujours leur fuite mortifère dans l’abstraction d’une Europe politique qui n’existera jamais et qui verra la dissolution graduelle de la France dans un ensemble irrévocablement dominé par l’Allemagne et l’Angleterre.
Farrage, c’est l’idéologie de la city sous sa forme la plus cynique, abritée derrière un pseudo alibi démocratique afin de caresser les souverainismes continentaux dans le sens du poil. Qu’un libéral dogmatique applaudisse et encourage un marxiste pur et dur devrait pourtant inciter à la réflexion, sinon à la prudence...
C’est la politique du "splendide isolement" que l’Angleterre appliquait déjà au XVIIIème et XIXème siècle, se présentant comme la garante distanciée de l’équilibre politique européen et la protectrice sourcilleuse des souverainetés nationales face aux ogres français ou allemands, quand elle ne faisait qu’entretenir en réalité les divisions et les fractures européennes selon la logique du "diviser pour régner" afin d’asseoir sa puissance sur des dominés croyant ainsi à leur "indépendance". D’où ce rappel constant et lourd de de sous-entendus au clivage nord-sud.