Sarkozy en Afghanistan : "la guerre au terrorisme doit continuer"
Nicolas Sarkozy était en Afghanistan ce mercredi, deux jours après l’embuscade qui a coûté la vie à dix soldats français. Il a rendu hommage aux hommes tombés pour la France, et a tenu à expliquer une fois de plus la raison de la présence française dans ce pays occupé par les États-Unis et leurs alliés depuis 2001 : "ici se joue une part de la liberté du monde", "ici se mène le combat contre le terrorisme", a lancé le président de la République.
Ces explications sont loin de faire l’unanimité, qui oublient systématiquement d’intégrer les mots suivants : "pétrole", "pipelines", "bases militaires permanentes"...
Rappelons que la guerre aux talibans, officiellement lancée au lendemain des attentats du 11-Septembre, était déjà en préparation plusieurs mois auparavant. C’est en tout cas ce qu’écrivait Patrick Martin dans WSWS le 20 novembre 2001.
Extraits de cet article, matière inépuisable à débats :
"Des comptes-rendus internes publiés dans les médias britanniques, français et indiens ont révélé que des hauts fonctionnaires des États-Unis avaient déjà menacé de guerre l’Afghanistan dès l’été 2001. Ces rapports comprenaient la prédiction dès juillet que « si une action militaire est menée, elle devra avoir lieu avant que les premières neiges ne tombent sur l’Afghanistan, soit à la mi-octobre au plus tard ». L’administration Bush a commencé ses bombardements contre ce pays misérable et pauvre le 7 octobre et les attaques au sol menées par les forces spéciales des États-Unis ont commencé le 19 octobre. (...)
L’intervention des États-Unis était planifiée en détail et minutieusement préparée bien avant que les attentats terroristes ne fournissent le prétexte recherché pour appliquer ce plan. (...)
Selon les deux auteurs français [Brisard et Dasquié], l’administration Bush était prête à accepter le régime des talibans, malgré leurs accusations selon lesquelles ces derniers commanditaient le terrorisme, pour autant qu’ils coopéraient avec les plans pour développer les ressources pétrolières de l’Asie centrale .
Jusqu’en août, écrivent les auteurs, le gouvernement américain voyait dans les talibans « une source de stabilité en Asie centrale qui permettrait la construction d’un oléoduc à travers l’Asie centrale ». Ce n’est que lorsque les talibans ont refusé d’accepter les conditions des États-Unis que « le raisonnement de la sécurité énergétique s’est transformé en sécurité militaire » .
Corroborant cela, il faut noter le fait curieux que tant les administrations Clinton que Bush n’ont jamais mis l’Afghanistan sur la liste officielle du Département d’État des États accusés de commanditer le terrorisme, malgré la présence connue d’Oussama ben Laden dans le pays en tant qu’invité du régime taliban. Une telle désignation aurait en effet rendu impossible toute signature d’un accord pour les entreprises pétrolières ou de construction américaines avec Kaboul pour un réseau d’oléoducs permettant de transporter le pétrole et le gaz de l’Asie centrale.
Les pourparlers entre l’administration Bush et les talibans ont commencé en février 2001, peu de temps après l’inauguration de Bush. Un émissaire taliban arriva à Washington en mars chargé de présents pour le nouveau chef exécutif, dont un coûteux tapis afghan. Mais les pourparlers furent loin d’être cordiaux. Brisard déclara « à un moment donné, pendant les négociations, les représentants des États-Unis ont déclaré au représentant taliban : ou bien vous acceptez notre offre d’un tapis d’or, ou bien nous vous enterrerons sous un tapis de bombes ».
Aussi longtemps que la possibilité d’un accord pour la construction d’un oléoduc semblait possible, la Maison-Blanche laissa traîner les enquêtes sur les activités d’Oussama ben Laden, écrivent Brisard et Dasquié. Ils rapportent également que John O’Neill, sous-directeur du FBI, a démissionné en juillet pour protester contre cette obstruction. O’Neill a déclaré lors d’une entrevue avec les auteurs que « les principaux obstacles à surmonter pour enquêter sur le terrorisme islamiste étaient les intérêts des entreprises pétrolières des États-Unis et le rôle qu’y occupe l’Arabie saoudite ». Par une étrange coïncidence, O’Neill accepta le poste de chef de la sécurité au World Trade Center après avoir quitté le FBI et y trouva la mort le 11 septembre.
Confirmant le compte-rendu de Naiz Naik à propos de la réunion secrète de Berlin, les deux auteurs français ajoutent qu’il y eut une discussion ouverte sur la nécessité pour les talibans de faciliter la construction d’un oléoduc partant du Kazakhstan pour assurer la reconnaissance de leur pouvoir par les États-Unis et le monde. Les pourparlers de plus en plus acrimonieux entre les États-Unis et les talibans cessèrent dans la discorde le 2 août, après une dernière rencontre entre l’envoyée des États-Unis Christina Rocca et un représentant taliban à Islamabad. Deux mois plus tard, les États-Unis bombardaient Kaboul."
Voici encore l’interprétation, très intéressante, que le comté de rédaction de WSWS fit, dès octobre 2001, de la guerre au terrorisme qui se déroule en Afghanistan :
"Le gouvernement américain a lancé la guerre pour faire valoir les vastes intérêts internationaux de l’élite dirigeante américaine. Qu’est l’objectif central de la guerre ? L’effondrement de l’Union soviétique il y a dix ans a créé un vide politique en Asie centrale, région qui constitue le deuxième plus important bassin recensé de pétrole et de gaz naturel au monde.
La région de la mer Caspienne, à qui l’Afghanistan fournit un accès stratégique, renferme environ 270 milliards de barils de pétrole, soit 20 % des réserves recensées dans le monde. Elle contient aussi 20 billions de mètres cube de gaz naturel, soit environ un huitième des réserves de gaz de la planète.
Ces ressources critiques sont situées dans la région politiquement la plus instable du monde. En attaquant l’Afghanistan, en installant un régime soumis et en amenant de grandes forces militaires dans la région, les États-Unis cherchent à établir un nouveau cadre politique au sein duquel ils peuvent exercer un contrôle hégémonique. (...)
Le résultat du parrainage américain de Ben Laden et des talibans s’est avéré encore plus tragique [que celui de l’Irak de Saddam Hussein dans les années 80 pour lutter contre l’Iran]. Ceux-ci sont les produits de la politique américaine, commencée à la fin des années 1970 et poursuivie tout au long des années 1980, consistant à encourager le fondamentalisme islamiste pour affaiblir l’Union soviétique et miner son influence en Asie centrale. Ben Laden et d’autres fondamentalistes islamistes ont été recrutés par la CIA pour mener la guerre contre l’URSS et déstabiliser l’Asie centrale.
Dans le chaos et la destruction qui s’ensuivirent, les talibans ont été encouragés et portés au pouvoir avec la bénédiction du gouvernement américain. Les responsables de la politique américaine pensaient que les talibans serviraient à stabiliser l’Afghanistan après près de deux décennies de guerre civile.
Les dirigeants politiques américains voyaient en cette secte ultra-réactionnaire un instrument pour faire avancer les objectifs américains dans le bassin caspien et le golfe Persique, et accroître la pression sur la Chine et la Russie. Si, comme le prétend l’administration Bush, l’attentat contre le World Trade Center est l’œuvre de Ben Laden et de ses protecteurs talibans, alors, dans le sens le plus profond et le plus direct, la responsabilité politique de cette terrible perte de vies humaines retombe sur l’élite dirigeante américaine elle-même. (...)
Lorsque le gouvernement américain parle de guerre au terrorisme, il est parfaitement hypocrite, non seulement parce que les terroristes d’hier sont les alliés d’aujourd’hui, et vice versa, mais plus encore parce que la politique américaine a provoqué une catastrophe sociale qui est le terreau sur lequel recrutent les organisations terroristes. Il n’existe pas d’endroit où le rôle prédateur de l’impérialisme américain est plus évident" qu’en Afghanistan, où le peuple souffre d’une pauvreté et d’un retard indescriptibles.
Pour compléter l’approche critique que l’on peut avoir de cette "guerre au terrorisme" en Afghanistan, on peut revenir à ses premières heures, au lendemain du 11-Septembre : dans le documentaire qui suit, à partir de la 50e minute, on prend la mesure de l’étonnante maladresse de l’armée américaine, incapable de mettre la main sur Ben Laden, et laissant systématiquement la voie libre permettant aux leaders talibans de fuir. Étrange.
Dans cet autre documentaire, réalisé par de grands reporters français, une révélation incroyable est faite à la 10e minute : on y apprend, de la bouche d’un proche conseiller du président Hamid Karzaï, que les Américains livreraient des armes aux talibans !
La France semble s’être engagée là dans une drôle de guerre...
Tags : Al Quaïda Afghanistan
7 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON