Qu’est devenue la politique de gauche face au problème de la délinquance ?
Le sociologue Gérard Mauger, qui au cours de sa carrière a porté ses recherches sur les pratiques culturelles et intellectuelles de la jeunesse, à été invité à présenter aux militants du Parti de Gauche un bilan des ces trente dernières années sur les problèmes politiques qui se sont posés au sujet de la délinquance juvénile.
Car si les médias de masse ont commencé à s’emparer de cette question dès la fin des années 50, et sous différentes formes, du fait divers à sa mise en scène en passant par sa problématisation en tant que "phénomène de société" (voir un exemple ici), c’est dans les années 80 que la thématique "sécuritaire" est devenue une véritable catégorie à part entière du discours et des programmes politique, ceci à droite comme à gauche, et avec la surenchère que nous connaissons jusqu’à nos jours.
Pourtant, au cours des années 70 qui a vu se succéder les crises économiques et des phénomènes de licenciement massif, il existait à cette époque deux approches très différentes du problème :
D’un côté, à gauche, était surtout mis en avant les causes sociales et économiques de la délinquance. Celle-ci s’expliquait par la difficulté grandissante à trouver un emploi, les pressions patronales sur les salaires et sur les syndiqués, l’augmentation des prix et des loyers, la multiplication des logements en HLM, et celle des emplois de bureau qui avaient tendance à répugner les jeunes hommes.
De l’autre, à droite généralement, était mis en avant les causes individuelles de la délinquance. Expliquant le vol et la violence par des choix effectués rationnellement par certaines personnes au sein de la société, il s’agissait donc de durcir la justice et les forces de l’ordre pour faire basculer ce choix dans l’autre sens.
Il y avait donc un véritable clivage droite/gauche sur la question et les solutions à y apporter, mais ce clivage s’est dissous par la suite lorsque le Parti Socialiste a eu accès au gouvernement et n’a pas réussi à régler les problèmes socio-économiques qui se posaient pour les classes populaires. De 1981 à 1983, après la mise en place de plusieurs mesures du programme commun de la gauche, le PS au pouvoir subit coup sur coup trois dévaluations du franc. Ils décident alors de prendre un tournant libéral, qui se voulait temporaire mais qu’ils n’ont plus quitté depuis, et poursuivent le projet de stabilisation des monnaies européennes initié par la droite et qui donnera plus tard naissance à l’euro. N’ayant ainsi plus de marge de manœuvre économique pour résorber les problèmes dus au chômage, et ne pouvant plus défendre leur parti-pris sur la question de la délinquance, le Parti Socialiste s’est alors mis lui aussi à défendre les solutions sécuritaires, tout en se ré-appropriant peu à peu les thèmes et les argumentaires de la droite sur le sujet.
Mais j’aimerais replacer ceci dans un contexte plus large encore, en vous invitant à visionner une conférence d’un autre sociologue, Loïc Wacquant.
Wacquant, alors étudiant en économie, était décidé à faire carrière dans la boxe professionnelle jusqu’à ce que sa rencontre avec Pierre Boudieu le fasse changer d’avis. Il s’est alors engagé dans la sociologie, est devenu depuis professeur à l’Université de Californie à Berkeley et a fait de nombreuses enquêtes au sein des ghettos américains et d’études sur le fonctionnement du système pénal aux Etats-Unis.
En 1999 il publie "Les prisons de la misère" et décrit comment l’idéologie économique néo-libérale, qui est partie des USA et s’est propagée dans le monde entier, s’est toujours accompagnée dans chaque pays d’une profonde transformation politique consistant à durcir sévèrement le système judiciaire et pénal. Un véritable pavé dans la mare à l’époque où le libéralisme était encore présenté partout comme triomphant de la pauvreté. Wacquant parvient à démontrer par ses analyses que ce courant politique ne consiste pas à libéraliser le commerce en diminuant le pouvoir de l’Etat, ce qu’affirmaient ses promoteurs, mais au contraire à restructurer complètement l’Etat pour en faire une institution au service des grandes entreprises privées.
En 2009, et après un véritable succès international passé à peu près inaperçu en France, Wacquant revient sur ces analyses pour les étayer et mettre en perspective les transformations sociales qui se sont poursuivies dans le monde pendant ces dix années.
J’en profite encore, si le sujet vous intéresse, pour vous inciter à lire "Surveiller et punir" de Michel Foucault. Publié en 1975, il y présente une analyse historique de l’utilisation par l’Etat français du système carcéral pour contrôler la population en s’inspirant des modèle anglo-saxons, il y décortique l’apparition de la notion de délinquance et l’intrusion de la psychologie dans la machine punitive. Plus encore qu’être resté un phare sur la question du rôle de la prison dans notre société, ce livre est resté absolument surprenant et si subversif que peu d’intellectuels à ma connaissance osent y faire référence ou en poursuivre le travail.
Foucault, qui refusait l’étiquette de philosophe ou d’historien pour préférer celle "d’archéologue" des savoirs, ou plus précisément de "généalogiste", se réfère à une foule considérable d’archives pour déterrer les raisons pour lesquelles au cours de l’industrialisation des pays occidentaux la prison est devenu une institution toujours plus ancrée dans nos démocraties libérales, et ce malgré le fait que l’inefficacité de l’emprisonnement pour réduire la criminalité ait toujours été constatée, et que les critiques que l’on peut en faire aujourd’hui sont exactement les mêmes qui ont été faites sans cesse depuis la Révolution Française et durant les 200 ans qui ont suivi.
Tags : Politique Sécurité Histoire Prison
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