@TchakTchak
"les machines et systèmes sont aveugles à eux-mêmes, n’ont pas de conscience, pas de ressentis, pas d’Umwelt, peuvent faire plein de truc en faisant n’importe quoi."
C’est même trop en dire. Les machines et systèmes n’ont pas "d’eux-mêmes", tout simplement et par définition. Un objet ne peut pas plus "avoir" de conscience qu’avoir quoi que ce soit d’autre. Un objet ne peut pas avoir tort, avoir raison, avoir mal, avoir envie, etc. Sorti de là, on entre dans la confusion sémantique.
Avec des mots, on peut tout dire, n’importe quoi et son contraire en même temps : par exemple je peux dire qu’il existe une humidité sèche, qu’elle est intelligente et amoureuse de moi, etc. Cela ne coûte rien de le dire. Et cela ne coûte rien de le publier sur un forum. Ce n’est pas non plus puni par la loi. Le langage permet de traiter être et chose sur le même plan, et cela ouvre la porte à la poésie comme à la folie. Aujourd’hui, tout est vendu sous l’étiquette de "l’intelligence" : téléphone, réfrigérateur, aspirateur, lunettes, voiture, ampoule. Les consommateurs vont bientôt se lasser de cela, et alors on leur vendra des objets doués d’amour et qui les aiment. Et l’on verra des gens sur les forums nous expliquer que si leur robots domestiques n’étaient pas capables de les aimer, ces objets ne pourraient pas leur préparer d’aussi bons petits plats. Et dans leur délires, ils s’offusqueront qu’on puisse refuser d’admettre que leur autocuiseur soit doué d’intelligence et de sentiment.
Comment en est-on arrivé là ? En formant des êtres humains à penser et à se comporter si mécaniquement qu’ils sont à présent incapables de concevoir la possibilité d’un au-delà du mécanique. Et quand on est incapable de concevoir la possibilité d’un au-delà du mécanique, aucun dialogue ne nous permettra JAMAIS de comprendre de quoi l’autre veut parler quand il utilise les mots "intelligence" ou "conscience" : on y verra toujours que du mécanique.
Nous côtoyons à notre époque des être apparemment humains mais qui sont intellectuellement des machines. Ces malheureux sont fascinés ou effrayés par les machines, par le fait d’être dépassés et remplacés par les machines. Ils ne voient pas que, pour eux, la catastrophe est déjà arrivée : ils ont été dépassés et remplacés à l’intérieur d’eux-mêmes par le mécanique. Ils sont possédés par le démon de la machine.
L’autre partie de l’humanité, qui a conservé sa conscience de n’être pas réductible à une machinerie, si complexe soit-elle, se réjouit de pouvoir utiliser les machines afin d’être libérée des tâches mécaniques, physiquement et mentalement. Cette humanité intelligente, sensible et créative ne s’inquiète pas d’être concurrencée par le mécanique : elle a inventée les machines extérieures (ordinateurs, robots, programmes, objets connectés) justement pour se décharger de la mécanicité en elle, pour pouvoir consacrer davantage de temps à ce qui n’est pas mécanique puisque la machine est précisément chargée de cette fonction.
Le démon mécanique est dangereux à l’intérieur de nous : un homme raisonnant et se comportant comme une machine est pitoyable et effrayant, il est concrètement dangereux. Au contraire, l’invention et l’utilisation de machines exorcisent une humanité libre et créative de ce démon de la mécanicité. Quelle est notre tâche ? Il faut faire sortir le mécanique de nous. Le démon mécanique trouve alors sa place dans l’ordre extérieur des choses en devenant une machine utile ou un jouet amusant.